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Refus de soins – Transfusion sanguine – Consentement libre et éclairé – Circonstances exceptionnelles

27 novembre 2025

En 2001, le Conseil d’État s’est prononcé une unique fois sur le caractère fautif d’une transfusion sanguine réalisée à l’encontre de la volonté d’un patient. Toutefois, depuis cette date, le cadre juridique entourant le consentement et la place de la volonté du patient dans la relation de soins ont évolué, notamment au travers de la loi Kouchner du 4 mars 2002.

Ce sont notamment ces éléments qui ont poussé le Conseil d’État, près de 25 ans plus tard, à se prononcer à nouveau sur la question le 27 novembre 2025. En l’espèce, une patiente a été admise au CHU de Bordeaux en vue d’une ablation de la vésicule biliaire : à cette occasion, la patiente s’est opposée à toute transfusion sanguine y compris dans le cas où sa vie serait en danger, communiquant de plus des directives écrites, en raison de ses convictions religieuses. Son refus a été réitéré à l’oral auprès de son chirurgien et un dispositif de transfusion autologue avait été mis en place.

Malgré ces refus répétés, la patiente a subi deux transfusions sanguines au cours et a posteriori de son intervention en raison d’une perforation accidentelle de l’artère iliaque droite, risque connu mais rare dont la patiente n’avait pas été informée. Après avoir repris connaissance, la patiente a été informée des deux transfusions qui avaient été réalisées et du fait que le refus d’une troisième transfusion l’exposait à un risque de décès à court terme au regard d’une anémie sévère. Elle a toutefois réitéré son refus de toute transfusion, ce qui a conduit les médecins à la placer sous sédation pour l’empêcher de s’opposer à cet acte médical : une troisième transfusion a été réalisée dans ces conditions.

Le Conseil d’État se fonde sur l’article L. 1111-4 du code de la santé publique et rappelle que tout patient a le droit de consentir aux soins mais également de les refuser. Il cite également l’article L. 1111-11 du même code relatif aux directives anticipées, rappelant qu’elles s’imposent au médecin « sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».

La Haute juridiction retient, en se fondant sur ces dispositions, que les deux premières transfusions ne constituent pas une faute du service public hospitalier. En effet, la patiente allait subir une opération au caractère ordinaire, n’était pas personnellement exposée au risque d’hémorragie et savait qu’elle pouvait bénéficier du dispositif de transfusion autologue en cas de besoin.  De plus, elle n’avait pas été informée du risque de perforation qui s’est réalisé en l’espèce. Au regard de ces éléments, le Conseil d’État considère que ce contexte n’a pas permis à la patiente « d’envisager effectivement la réalisation d’un risque mortel d’hémorragie requérant une transfusion urgente en cours d’intervention » : le refus anticipé de la patiente ne peut donc pas être considéré comme s’appliquant aux deux premières transfusions dans la mesure où il a été donné alors même que la patiente n’avait pas envisagé le risque qui s’est réalisé au moment où elle a formulé son refus.

En revanche, le juge administratif retient le caractère fautif de la troisième transfusion dans la mesure où la patiente, qui avait repris conscience et avait été informée du risque de décès à court terme auquel elle s’exposait en cas de refus de toute transfusion sanguine, a réitéré son refus. Puisque le refus de toute transfusion opposée par la patiente faisait suite à une information claire, loyale et complète sur les risques encourus, le fait pour les médecins de placer la patiente sous sédation pour réaliser cette transfusion malgré tout présente un caractère fautif et entraîne un préjudice moral indemnisable pour la patiente.

Par cet arrêt, le Conseil d’État actualise sa position sur le refus de soins, particulièrement en ce qui concerne le refus de transfusion sanguine opposé par les témoins de Jéhovah, à la lumière des différentes évolutions législatives et réglementaires. Cet arrêt s’aligne par ailleurs sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui retient que le patient peut refuser les soins, mais qu’il est nécessaire de s’assurer que la décision de refuser un traitement vital du patient a été prise librement, de manière autonome, par un patient disposant de la capacité juridique nécessaire et conscient des implications de sa décision (CJUE, Grande Chambre, arrêt Pindo Mulla c/ Espagne, 17 septembre 2024). 

 Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 27/11/2025, 469793